JOURNÉE MONDIALE DE LUTTE CONTRE LA DRÉPANOCYTOSE
TÉMOIGNAGE D’UN PARENT AYANT PERDU UN ENFANT À CAUSE DE CETTE MALADIE.
La journée mondiale de lutte contre la drépanocytose qui a lieu le 19 juin de chaque année est l’occasion de rendre hommage à toutes ces personnes qui vivent avec la maladie. C’est le cas de Cécile BAKADAL, jeune femme de 26 ans qui a récemment perdu sa fille de deux ans atteinte de cette maladie. Dans cette interview accordée à EsbiMedia, Cécile partage son expérience personnelle de la drépanocytose.
Esbimedia : Comment avez-vous découvert que votre fille était drépanocytaire ?
J’ai découvert que ma fille était atteinte de drépanocytose quand elle avait un an et deux mois. Avant cela, lorsqu’elle avait environ six à sept mois, elle pleurait souvent la nuit et je me demandais pourquoi. Parfois, je la réprimandais en lui demandant pourquoi elle perturbait le sommeil des autres, mais elle continuait toujours à pleurer. J’ai ensuite remarqué que ses orteils et ses doigts étaient enflés. Ma tante, qui avait déjà vécu cette situation, m’a demandé de faire un test d’hémoglobine. Je suis donc allée à l’hôpital pour effectuer le test, qui a confirmé que ma fille était atteinte de drépanocytose. À ce moment-là, elle avait un an et deux mois.
Esbimedia : Comment est-ce que vos proches ont accueilli cette nouvelle ?
Je veux encore aller vers le début de ma grossesse. Parce que quand j’étais à trois mois de grossesse j’ai commencé à faire des visites prénatales. Quand vous faites les visites prénatales on vous exige toujours de faire un test d’électrophorèse. À l’issu de ce test il s’est avéré que je suis d’hémoglobine AS. À l’hôpital on m’a demandé automatiquement que mon partenaire fasse aussi son test d’électrophorèse. Je lui ai en parlé. Je l’ai dit à sa famille. Ils m’ont dit chez eux ça n’existe pas. Ils ne connaissent pas ça. Même leurs arrière-grands-parents n’ont pas cette maladie.
Pour revenir à votre question. Quand il s’est avéré que l’enfant était drépanocytaire. Dans ma famille cela a été un coup dur mais cela n’a pas étonné les gens. Pourquoi ? Parce que c’est une maladie que la majorité des membres de la famille connaissait déjà. Vu que ma petite cousine est morte de cette maladie en 2017 quand elle avait l’âge de 17 ans. Sauf que dans la famille de mon partenaire ils ont mal pris la chose. Ils ont parlé de mysticisme, ils ont parlé d’infidélité et tout ce qui va avec. Ça n’a pas été bien accueilli parce que chez eux il n’y avait jamais eu une victime de la drépanocytose. Donc ils ont mal pris. Et à la fin on a pu vivre avec.
Esbimedia : comment s’est manifestée la maladie ?
La maladie s’est manifestée d’abord de manière physique. Comme je vous aie dit au départ elle avait des orteils qui gonflaient, les doigts qui gonflaient. Et l’anémie sévère était récurrente aussi. Elle avait des yeux jaunes des fois. Mais à la voir on ne pouvait pas savoir qu’elle souffrait de la drépanocytose parce qu’elle avait un poids normal comme tous les enfants. En période de crise elle avait des douleurs. Elle pleurait. Elle criait. Comme elle ne parlait pas encore elle ne pouvait pas me dire, j’ai mal aux pieds, j’ai mal à la main, j’ai mal au doigt, c’était juste des cris.
Esbimedia : Quelles sont les actions thérapeutiques que vous avez mises en œuvre pour trouver un traitement à la maladie ? Est-ce que vous avez fait recours à l’hôpital ou à la médecine traditionnelle ?
Premièrement on a fait recours à l’hôpital. Nous sommes allées avec la petite à la Fondation Chantal Biya (Yaoundé). On a eu à faire d’autres tests. Et on nous a demandé de faire chaque mois le test de numération. On lui a donné des médicaments qu’on devait acheter chaque mois. Il y a certains médicaments qu’elle devait prendre chaque jour. Et d’autres elle devait les prendre en période de crise. Quand la douleur s’accentue elle devait prendre ces médicaments-là.
D’un autre côté on a eu à faire recours à la médecine traditionnelle. Mais le traitement était très coûteux. Du coup on était en train de se battre pour pouvoir réunir la somme exacte et remettre au monsieur. Hélas tout ne s’est pas passé comme prévu. Elle est morte quelque temps après. Le médecin traditionnel a proposé un traitement de 600 000 F pour une durée de six mois. Il nous a garanti que l’enfant va passer de l’hémoglobine SS à AS et ainsi de suite.
Esbimedia : Vous ne nous avez pas dit à quel âge la petite est morte.
La petite est morte le mois de son anniversaire. Elle devait avoir deux ans le 28 mai, elle est morte le 12 mai. Et elle a été enterrée le 13 mai.
Esbimedia : Côté émotionnel comment est-ce que vous avez vécu la disparition ?
Si je vous dis que pour moi c’est déjà passé c’est que je serai en train de vous mentir. Parce que, c’est vraiment difficile. Quand on m’a annoncé la mort de ma fille, j’étais dans le taxi pour aller à la Fondation Chantal BIYA. Puisqu’elle ne vivait pas avec moi. Elle vivait avec ma maman. J’étais dans le taxi pour aller à la Fondation Chantal BIYA et en chemin son père m’appelle pour me dire qu’on a perdu notre fille. J’ai pleuré comme toutes les mamans. Mais rien n’a changé. On a enterré la fillette. Jusqu’à présent mon cœur est toujours meurtri. Je n’arrive même pas à y croire. Parce que le son de sa voix raisonne à tout moment dans mon cerveau. Les petites blagues qu’on avait l’habitude de faire. Quand j’appelle ma maman, j’ai toujours envie de lui dire passe-moi ma fille, passe-moi Lela… J’ai toujours ces souvenirs douloureux en moi que j’espère avec le temps vont disparaître. Sinon que ce n’est pas facile.
Esbimedia : Auriez-vous pu éviter de vous retrouver dans cette situation ?
Oui ! J’aurai pu éviter de vous retrouver dans cette situation, parce que, quand ma cousine meurt en 2017 ça été une sonnette d’alarme pour toute la famille. Mais on a pris cela à la légère. On n’a négligé. Du coup tout le monde se prenait un partenaire sans d’abord exiger les tests prénuptiaux avant. Sans avoir fait les tests tous les deux avant de se mettre en couple. Parce que la mort de ma cousine devait nous servir de leçon nous les membres de la famille d’abord. Avant de vous mettre en couple avec une personne, vous deux devez connaître votre statut d’électrophorèse. Mais ça je ne l’ai pas fait. Je l’ai négligé et le pire est arrivé. Une fille m’a dit un jour « C’est la conséquence qui enseigne plus ». Là la conséquence m’a beaucoup enseigné.
Esbimedia : Quels conseils donnerez-vous aux jeunes qui veulent embrasser la maternité ?
Le conseil que je donnerai aux jeunes qui veulent embrasser la maternité… D’abord, surtout les jeunes femmes, il faudrait être indépendante financièrement. Ne pas vraiment avoir le luxe. Mais avoir le nécessaire pour nourrir votre enfant. Si vous vous aventurez dans le domaine de maternité est-ce que je peux donner un petit-déjeuner à mon enfant le matin ? Est-ce que je peux nourrir mon enfant à midi ? Est-ce que je peux le nourrir le soir ? Est-ce que je peux l’emmener à l’hôpital quand il est malade ? Est-ce que je peux payer sa scolarité ?
Ensuite. Avant de se mettre en couple. Il faut faire des tests prénuptiaux d’abord. Pour vous et votre partenaire. Si vous connaissez déjà votre statut, exigez à ce que votre partenaire fasse aussi son électrophorèse. Que ce soit le test sanguin. Que cela soit le test du sida. Que cela soit le test de l’hépatite. Parce que toutes ces maladies-là sont dangereuses pour la vie de l’homme.
Et concernant la drépanocytose. Je dirai d’abord aux parents à leurs enfants qu’il y a une maladie qui existe comme la drépanocytose. Pour que l’enfant puisse grandir en intégrant cela dans l’éducation. Qu’il y a une maladie qui existe comme la drépanocytose. Comme ça, quand l’enfant sera grand, il en parlera à ses amis, à son entourage, à ses enfants. Et il pourra aussi faire ses tests. Pour éviter de tomber dans certaines situations comme celle que j’ai eue. J’ai eu ma fille. On était bien. J’étais joyeuse. Et après… elle est partie.
J’aimerais aussi ajouter un élément. Si vous êtes en couple et que vous deux vous n’êtes pas compatibles, il ne se fait pas encore trop tard et vous pouvez vous séparer. Le mieux à faire est de se séparer que d’avoir un enfant drépanocytaire. Pourquoi ? Parce que c’est très douloureux de voir son enfant souffrir, se tordre de douleur. C’est tout ce que je peux dire à ceux qui veulent s’aventurer dans la maternité.
Esbimedia : Vous avez décidé de mener une campagne de sensibilisation. Comment est-ce que s’effectue ce mouvement ?
D’abord, je commence la sensibilisation au niveau de mon entourage. Ma famille, mes amis, mes collègues. La sensibilisation commence par là. Et ensuite, quand j’ai l’opportunité d’en parler j’en parle. Et, mes sœurs et moi on a créé une association caritative qui est intitulée « Life is good ». Il est vrai qu’elle ne parle pas typiquement de la drépanocytose mais elle s’intéresse aussi à la drépanocytose. Puis que nous sommes dans le mois de la drépanocytose, nous sensibilisons en cours de route ; nous sensibilisons dans les villages. Ce dimanche 18 juin 2023, nous avons mené une activité de sensibilisation à Nkinli Nkok dans le département de la Seine-Maritime, région du Centre. On pense que, dans les villages, les gens sont moins informés de la maladie qu’en ville. Donc vaudrait mieux que la sensibilisation commence dans les zones rurales avant de s’accentuer dans les zones urbaines. Et actuellement les tests d’électrophorèse sont gratuits à l’hôpital Laquintini à Douala. Et au Centre Pasteur de Yaoundé les coûts du test ont été revus à la baisse.
Esbimedia : Les tests s’élèvent à combien hors campagne promotionnelle ?
Le prix varie d’un centre de santé à un autre. Quand je faisais l’électrophorèse de ma fille dans un centre de santé près de la maison, on m’a dit 10.000 frs. Lorsque je suis parti à l’hôpital des Sœurs catholiques où j’ai accouché, on m’a dit 6000 fr. Cela varie selon les centres de santé et les hôpitaux.
Esbimedia : Un mot pour la fin.
Je ne vais jamais cesser de sensibiliser. Que ce soit pour la drépanocytose ; Que ce soit pour le handicap ; Que ce soit pour d’autres maladies. Parce que ceux qui souffrent de la drépanocytose et les parents qui ont des enfants drépanocytaires sont parfois stigmatisés par la société. Moi par exemple les gens me disent, tu as eu à faire un mauvais truc, raison pour laquelle Dieu est en train de te punir. Ou bien ça n’existe pas et tout… Donc, j’envoie beaucoup d’ondes positives aux parents qui ont des enfants drépanocytaires et aux enfants drépanocytaires aussi. Je leur souhaite beaucoup de courage pour le combat. Sensibilisons au maximum dans notre entourage. Parce que la drépanocytose est une maladie que l’on peut éviter si on essaye de découvrir ce qui se passe et de se renseigner. Parce qu’il y a certaines personnes qui sont ignorantes. Elles ne savent pas qu’il y a une maladie qui existe comme la drépanocytose. Donc il faut sensibiliser au maximum.
Merci à vous de m’avoir donné l’opportunité de sensibiliser une fois de plus.
Propos recueillis par Sidoine FEUGUI