ASSEMBLÉE NATIONALE : LE « PALAIS DE VERRE PAUL BIYA », UN SYMBOLE D’UNE SÉPARATION DES POUVOIRS LÉGISLATIF ET EXÉCUTIF DÉFAILLANTE ?

En baptisant l’Assemblée nationale du nom de Paul Biya, le pouvoir camerounais franchit une nouvelle ligne rouge. Ce geste, loin d’être anodin, consacre l’effacement total de la séparation des pouvoirs dans un régime déjà miné par l’hyper-présidentialisme. Derrière les murs étincelants du « Palais de verre Paul Biya » se dessine le portrait d’un Parlement soumis, vidé de sa fonction démocratique.
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Le 25 avril 2025, l’Assemblée nationale du Cameroun a été officiellement inaugurée sous un nouveau nom : le « Palais de verre Paul Biya ». Un geste lourd de symboles, et encore plus de silence démocratique. Car baptiser ainsi le siège du pouvoir législatif d’un pays revient à graver dans le marbre un fait déjà acté depuis longtemps : l’absence totale de séparation entre le législatif et l’exécutif au Cameroun. Dans une démocratie digne de ce nom, le Parlement est le lieu sacré du débat, de la contestation, et du contre-pouvoir. Il est censé incarner la volonté populaire, indépendante du gouvernement en place. Mais au Cameroun, cette ligne a été effacée depuis belle lurette. Le choix de donner le nom du président de la République en exercice depuis 1982 au siège du Parlement, en est l’ultime aveu : l’Assemblée nationale n’est plus qu’une chambre d’enregistrement, une extension de la présidence, soumise et décorative. Ce n’est pas un hommage ; c’est une reddition politique.

A l’observation, au Cameroun, l’État de droit semble s’effondrer pierre après pierre, symbole après symbole. En rebaptisant l’Assemblée nationale « Palais de verre Paul Biya », le régime vient d’officialiser une vérité que nul n’ose contester à haute voix : il n’y a plus de contre-pouvoir dans ce pays. Le Parlement, censé incarner la voix du peuple, devient un monument à la gloire d’un président qui incarne à lui seul l’immobilisme, la personnalisation excessive du pouvoir et la confiscation des institutions. Ce geste, loin d’être neutre, sonne comme un aveu brutal : au Cameroun, la démocratie est une façade, le pluralisme une illusion.

Le président Paul Biya, est aujourd’hui érigé en figure tutélaire d’un Parlement qu’il ne fréquente que occasionnellement conformément à la constitution Camerounaise, mais qu’il contrôle de facto. Le RDPC (parti présidentiel) y détient une majorité écrasante et verrouille toutes les discussions. L’opposition, marginalisée et bâillonnée, y tient un rôle symbolique. Les quelques parlementaires qui osent s’interroger sur la légitimité d’une telle décision sont aussitôt renvoyés à l’ordre, dans une institution qui n’a plus de comptes à rendre au peuple, mais à la présidence. En baptisant ce bâtiment du nom de Paul Biya, le Cameroun se donne l’image d’un régime figé, monarchique, et déconnecté des aspirations démocratiques de son peuple. C’est une gifle à la jeunesse qui rêve de renouveau, une claque aux réformateurs tant dans l’opposition que dans le régime en place, et un coup de grâce porté à l’idée même de contre-pouvoir. Cette décision est tout sauf anodine : elle participe d’une stratégie d’hyper-présidentialisation du régime, où tout converge vers un seul homme, un seul nom, un seul pouvoir.

En réalité, le Palais de verre ne brille que par son architecture. Derrière ses murs de verre et d’acier se cache une République fantôme, vidée de sa substance, où les institutions ne sont que des vitrines creuses. Le législatif est aux ordres de l’exécutif. La justice est aux ordres de l’exécutif. Et désormais, même le nom du Parlement le proclame : tout commence et se termine avec Paul Biya. Le Cameroun mérite mieux qu’un Parlement qui se couche. Il mérite des institutions solides, indépendantes, et fidèles à l’esprit de la Constitution. Tant que ces dérives seront normalisées, tant que le culte de la personnalité primera sur la logique institutionnelle, la démocratie camerounaise ne sera qu’un mot vide dans un palais de verre trop bien poli pour refléter la vérité.

La transformation du siège de l’Assemblée nationale en « Palais de verre Paul Biya » n’est pas un simple acte symbolique, c’est un coup de force politique maquillé en hommage. Ce baptême signe la fin de toute illusion démocratique au Cameroun : il officialise la soumission du législatif à un exécutif omnipotent et personnifié. En érigeant un monument à la gloire d’un seul homme au cœur de l’institution parlementaire, le régime ne fait pas que piétiner la Constitution il enterre définitivement le principe fondamental de séparation des pouvoirs. Le Cameroun n’a pas un Parlement, il a un décor de République.

Joakim IPELA

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