TETE A TETE AVEC VALERIE ELEMVA : COSTUMIERE CAMEROUNAISE
Elle a raison d’avoir de longs cheveux de couleur, croiser les pieds sur une chaise roulante et manipuler aisément son téléphone dernière génération, Valérie Elemva est une rareté dans son domaine, au Cameroun. Née le 18 décembre 1996 à Yaoundé, c’est une jeune camerounaise métissée, originaire des régions du Sud et de l’Ouest, pétrie de talent. Issue d’un brassage ethnique Bulu et Bafang, elle a su mettre les petits plats dans les grands. A 26 ans, en plus d’être propriétaire d’un prêt à porter « Elem’s Costumes Designs », à Yaoundé, c’est une styliste créatrice de mode, une costumière de cinéma qui éblouie le 7e art au Cameroun par son talent et son style. L’exemple pour une génération consciente.
Esbi Media : Bonjour Valérie Elemva et merci d’avoir accepté notre invitation…
Merci de m’avoir invité. Je suis Valérie Elemva, costumière de cinéma.
Esbi Media : Avant toute chose, avez-vous l’habitude des magazines web camerounais ?
Non. Je n’ai pas trop l’habitude des magazines web du Cameroun. Je n’ai pas l’habitude des magazines web en général.
Esbi Media : Qu’est-ce qui vous amène à devenir costumière de cinéma ? Et qu’est-ce qui vous a motivé à penser que vous pourrez réussir dans ce domaine-là ?
Je suis passionnée de mode et de stylisme. Cette passion s’est développée davantage lorsque j’étais encore étudiante. J’ai fait des études en Arts et spectacles de cinématographie à l’université de Yaoundé 1. Du coup là-bas, quand on organisait des spectacles de films, j’avais toujours un penchant pour la mode. Tout ce qui m’intéressait, c’était d’habiller les personnages qui n’étaient autres que mes camarades. Je m’orientais toujours naturellement vers ça. Pendant mon cursus scolaire, j’ignorais totalement qu’il existe un métier dédié à la conception des costumes pour le cinéma. C’est au fil des années de formation que nous avions parlé sommairement de ce volet à l’école, sans vraiment approfondir les connaissances. Après quelques années, j’ai commencé à m’y intéresser vraiment dans le tas. J’allais sur le terrain pour découvrir davantage. Un jour étant sur le terrain, j’ai fait la rencontre d’une grande costumière camerounaise, Maman Jeanne Ngondap, qui m’a demandé de la rejoindre, après avoir apprécié mon enthousiasme pour ce travail. Elle était à la recherche d’une costumière assistante. C’est ainsi qu’entre 2016 et 2017, j’ai commencé auprès d’elle. Le premier plateau de tournage que j’ai fait en tant qu’assistante était lors du tournage du film « Mon blanc à vendre », de Linda Menfo. C’est là que démarre ma carrière. J’y ai assisté tous les jours. C’est au cours de ces multiples aventures que je me suis faite une fois de plus repérée par la réalisatrice camerounaise Françoise Ellong. Elle me découvre pendant la réalisation du long métrage KUNTAK en 2018. J’étais alors assistante d’une Béninoise Huguette Koudju, une grande costumière. Après avoir remarqué mon travail très appliqué dans ce projet, Françoise Elong décide de me faire confiance en faisant de moi la cheffe de poste dans son prochain projet de réalisation. C’était dans le film « Enterrés ». Une ascension qui marque le début de ma carrière de costumière de films.
Esbi Media : Quel est le souvenir que vous avez de votre toute première mission de costumière de cinéma ?
J’ai le souvenir de cette jeune fille là, qui était tellement déterminée, qui avait peur de l’échec, qui voulait travailler sans commettre la moindre erreur. Je m’y mettais à fond à chaque fois qu’on me confiait une tache. Quand ma patronne me laissait suivre un projet, je me retenais de faire d’erreurs pour ne pas recevoir des critiques après. J’ai beaucoup appris avec Maman Jeanne qui m’a fait confiance en retour.
Esbi Media : Vous avez conçu les costumes d’acteurs dans la série SADRACK, et plus récemment encore ceux des acteurs de la série EWUSU. Racontez-nous votre ressenti sur ces expériences remarquables..
Dans le film Sadrack, le réalisateur et moi avions une complicité tout au long du film et aussi avec les acteurs. C’était un travail d’équipe. On n’arrêtait pas de causer, on n’arrêtait pas de travailler sur les personnages tout au long du film. Et c’était une découverte à chaque fois que je voyais chaque personnage. On avait vraiment cette complicité dans les échanges. Maintenant sur la série Ewusu, ça a été un peu complexe. C’était un véritable challenge. La création des costumes reposait sur moi. Et on a eu un temps de préparation assez court. Du coup, lors du tournage, je devais toujours échanger un peu plus avec la réalisatrice, qui est très stricte avec le travail. Je pense qu’on s’en est sorti. La tâche n’était pas aisée, mais nous avons pu travailler en synergie. Chaque personnage était différent. C’était une réelle découverte. Je vais vous laisser le soin de découvrir chaque personnage dans ce film. Aucun personnage ne ressemblait à l’autre. C’était d’ailleurs la plus grosse difficulté. Chaque acteur avait sa touche et sa personnalité. Et il y a aussi la marque d’africanité qui s’est faite ressentir dans cette réalisation. Je suis fière de ce travail car c’est aussi une découverte de la culture africaine en général et camerounaise en particulier. Et ça me ravit complètement. Je ne peux pas dire que je connais tout de A à Z. Moi-même, je vais encore redécouvrir la série à l’écran; question pour moi de voir si un petit détail ne m’a pas échappé. Le costumier ou la costumière a un grand impact sur le jeu des personnages. C’est lui qui aide à donner un style de vie dans le film.
Esbi Media : A ce jour, dans combien de films avez-vous apporté votre expertise ?
A ce jour, j’ai participé en tant que chef du poste à huit films, je crois bien, dont un court métrage et sept longs métrages. Mon premier film en tant que chef de poste est la Série « ENTERRES » de Françoise Elong. Ensuite, « BENSKIN » de Narcisse Wandji, A L’HOPITAL de Stella N, un court-métrage, CROKET WANT de Dante Fox, TIFFOKI ET LE DERNIER GRIOT, une série de Marius Bonfeu, SADRACK et EWUSU, la dernière réalisation de Françoise Ellong. Il y’a aussi la série FSA de Mohamed Ahmed Bensouda, un marocain. Je ne sais pas trop si j’ai oublié certains projets. C’est tout ce dont j’ai le souvenir pour le moment. Mais en tant qu’assistante, j’ai participé à plein de projets dont les plus marquants restent NOIRS CITY, la série d’André B et KUNTAK.
Esbi Media : Comment faites-vous pour perfectionner votre art au quotidien ?
Moi personnellement je fais beaucoup de recherches. Beaucoup. Je fais des recherches sur des costumiers africains et sur des costumiers internationaux qui m’inspirent beaucoup. Ce n’est pas une tâche aisée parce qu’on ne retrouve pas forcément des livres en ligne, des manuels qui parlent des costumes ou des costumiers. C’est assez rare de trouver ceux qui vont t’apprendre quelque chose de A à Z. Donc pour perfectionner mon art du costume ici au Cameroun, il faut beaucoup échanger avec les costumiers qui exercent à l’extérieur. Il faut avoir une culture générale sur les cultures camerounaises, africaines et occidentales. Je continue de travailler sur les bases du métier de styliste. Il faut s’ouvrir aux autres et rester courtoise.
Esbi Media : Est-ce que le métier modéliste de cinéma nourrit- il son homme au Cameroun ?
Oui. Le costumier de cinéma peut gagner honnêtement sa vie au Cameroun. C’est un métier qui demande à être patient et créatif. En plus du gain quotidien, il est rempli d’ouvertures.
Esbi Media : Avez-vous déjà connu un échec dans ce métier qui reste gravé dans vos pensées ?
Oui j’ai déjà connu un échec. Les échecs ne manquent pas. Ils nous permettent à forger notre personnalité du travail dans le métier. Je n’ai pas pu terminer un projet à cause d’un deuil. C’était un projet qui me tenait à cœur. J’avais eu deuil mais le producteur ne voulait pas que je me déplace malgré le fait que j’ai mis mon Assistante à son service. Je voulais quand même me déplacer pour les deux jours de deuil. Je suis allée au seuil et je n’ai pas pu terminer le projet alors qu’il était à la fin.
Esbi Media : Quel est votre plus grande réussite dans la conception des tenues d’acteurs ?
Ma plus grande réussite dans la conception des tenues d’acteurs, c’était sur le film « Enterrés » de Françoise Elong. Mon tout premier film en tant que chef de poste. Ce film m’a valu le prix de meilleure costumière au festival Yarha et à l’AMA au Nigeria. C’est ma plus belle création parce qu’il y avait une telle complexité dans le travail du costume. Car il ne s’agissait que de 05 personnages principaux qui jouaient dans un lieu assez désert. Un stade. La complexité se situait au niveau de la tenue de l’acteur Anourine qui était toute blanche et il y avait des scènes de bagarres dans la poussière, un peu dans de la saleté qu’il fallait raccorder à chaque fois. Donc, c’était d’une telle complexité que moi-même je doutais un peu de la réussite de ça. Mais au final suis arrivé au bout. J’ai pu faire des raccords. Et je pense que c’est ça qui m’a valu tout ça. Et j’ai un peu placé chaque personnage dans un style particulier qui représentait en même temps les différentes cultures camerounaises. Un acteur était habillé en Sawa avec le Pagne, le Sandja et la chemise. Un autre était en boubou. Il y’avait une actrice qui était habillée en robe Sawa. Il y avait 02 qui étaient en tailleur : un homme qui était en veste tailleur et une femme du même style. Pour moi, c’était une véritable réussite parce que pour arriver à ce résultat, ce n’était pas du tout une tâche aisée. Surtout qu’on sait que réussir vraiment à tourner à l’extérieur avec un vêtement blanc en plein soleil, n’est pas du tout évident. Le travail technique qu’il y’a eu sur ce projet tant aux costumes et à l’image, c’était une véritable réussite. On avait juste une équipe magnifique et ça a permis qu’on puisse aussi faire notre travail. Tout était parfait, l’image, la décoration, les costumes, tout étaient en accord pour la réussite de ce film.
Esbi Media : Avez-vous une préférence sur le choix des projets de cinéma ?
Oui bien sûr. Pour que j’accepte travailler dans un film en tant que costumière, il faut que je m’imprègne d’abord le scénario. Il faut que le scénario me parle vraiment, qu’il m’attire. Sinon je n’accepte pas. Si je ne sens pas la créativité venir en moi, je n’accepte pas. Quand je ne sens pas un scénario, je risque d’avoir un échec quelque part. Le costumier qui ne se sent pas à l’aise ne va pas se donner à 100%. Pour que moi j’accepte, il faut que je ressente le film. Il faut que je comprenne la vision du réalisateur pour que nous puissions aller dans le même sens lors de la création. Dans le film SADRACK, par exemple, je suis tellement fière d’avoir eu à travailler dans la réalisation de ce projet. C’était une belle expérience pour moi. J’ai découvert des acteurs assez passionnés et avec qui nous avons partagé de bons moments. Je suis assez heureuse de mon travail, du résultat, d’avoir satisfait le réalisateur avec qui je causais beaucoup. Pour moi, il est primordial de causer beaucoup avec le réalisateur lors des échanges. Et même pendant le film, parce qu’il peut avoir des éléments qui changent en plein tournage. Il peut avoir des éléments qui s’ajoutent, en fonction du contexte et en fonction des décors.
Esbi Media : Pensez-vous que le travail d’un costumier de cinéma doit rester un métier de l’ombre?
Non. Je préfère ne pas rester dans la discrétion. J’aimerais aussi faire parler de moi, de mon travail et surtout du métier de costumier; parce que c’est une réelle passion et ce métier ne mérite pas de rester inconnu. Moi j’aimerais former pleins d’étudiants. D’ailleurs j’ai déjà commencé à lancer des formations pour les jeunes qui aimeraient se former dans le métier du costume. J’aimerais faire parler de moi et de mon métier devant le grand écran.
Esbi Media : Quels sont vos projets à court à moyen et à long terme ?
Je compte créer un atelier de conception de vêtements dédiés à la culture et au cinéma. Un atelier de costumes, comme on en voit ailleurs, n’existe pas encore ici chez nous au Cameroun. Je veux être une pionnière dans ce secteur-là. Je compte créer une garderie, un atelier de costume cinématographique et théâtrale et vente d’accessoires de cinéma et théâtre.
A long terme, j’aimerais créer une école dédiée au costume cinématographique. Une école dédiée à la formation des costumiers du cinéma. La formation est assez difficile. Je n’ai pas eu la chance de suivre une formation formelle mais je pense que c’est un métier qui mérite qu’on ait une formation approfondie; parce qu’il y’a plus de débouchés encore accessibles. Je pense que réaliser ce projet sera un grand avantage pour les jeunes qui s’intéressent à la mode et surtout au cinéma.
Esbi Media : Merci, d’avoir répondu à notre invitation.
Merci à vous d’avoir accordé un intérêt à notre beau métier.
Entrevue menée par Cyrille ELLA