EXCLUSIF – LUTTE ANTI-CORRUPTION : L’OPÉRATION ÉPERVIER ABATTU EN PLEIN VOL

Lancée en 2006 par le gouvernement camerounais dans un contexte de pression des bailleurs de fonds internationaux et d’exigences de l’opinion publique, l’Opération Épervier avait pour but de mettre fin à la corruption à tous les niveaux du pouvoir. Pourtant, aujourd’hui, cette initiative phare semble avoir perdu toute sa crédibilité et plonge dans l’hibernation. Son efficacité et son impartialité sont désormais fortement remises en question, notamment suite aux récentes libérations de figures de l’ancien régime, souvent sur demande directe de la présidence de la République. Ces libérations posent un grave problème de cohérence et d’intégrité de l’opération. Elle met en lumière une justice au service du pouvoir exécutif, qui semble se plier aux caprices politiques du moment, au détriment des principes fondamentaux d’équité et de lutte contre l’impunité. En effet, ces « pontes du régime » bénéficient aujourd’hui d’un traitement de faveur, ce qui interroge non seulement sur la pertinence de l’opération, mais aussi sur la sincérité de l’engagement du gouvernement à mener une véritable croisade contre la corruption.
Plus inquiétant encore, ces libérations entraînent une inégalité flagrante face à la justice. De nombreux responsables, embastillés dans le cadre de l’Opération Épervier, continuent de purger leurs peines dans une situation d’injustice criante. Si des personnalités haut placées de l’ancien régime sont aujourd’hui remises en liberté, cela soulève une question fondamentale : pourquoi ces personnes, accusées de détournements massifs de fonds publics, sont-elles traitées différemment des autres détenus ?
L’Opération Épervier, loin de rétablir une véritable justice, semble avoir servi de prétexte pour des manœuvres politiques internes. Accusée d’être un instrument pour éliminer des rivaux politiques et écarter des anciens alliés du président, elle n’a en réalité que contribué à éroder davantage la confiance du peuple camerounais envers la justice. Les soupçons de manipulation sont désormais légion : certains anciens ministres, aujourd’hui libres, ont été des cibles politiques pendant que d’autres, toujours emprisonnés, ne bénéficient pas des mêmes largesses. L’objectif initial de récupérer les fonds détournés semble lui aussi avoir été mis de côté, puisque les détournements dans divers secteurs restent massifs et impunis.
Les récents scandales autour de la préparation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2022 viennent aggraver cette perception de faillite. La gestion chaotique des fonds publics destinés à l’organisation de cet événement majeur a permis à certains responsables de détourner des sommes colossales, sans que leurs actes n’aient pour l’instant été véritablement sanctionnés. Des fonds destinés à des projets sociaux ont été engloutis dans des opérations fictives ou mal gérées, et les responsabilités sont encore floues. La question demeure : pourquoi ces milliards de francs n’ont-ils pas fait l’objet d’une enquête transparente et de poursuites judiciaires ?
Au fond, l’Opération Épervier aurait dû être un gage d’espoir pour le Cameroun, une démonstration de la volonté de ses dirigeants de tourner la page de la corruption. Mais en réalité, elle n’a fait qu’aggraver le climat de méfiance et a mis en évidence les failles profondes du système judiciaire camerounais, désormais subordonné aux intérêts politiques du moment. Dans ce contexte, l’impunité semble avoir refait surface, et l’objectif d’assainissement des finances publiques semble bien loin. La libération des ex-pontes du régime n’est donc pas simplement un revers pour l’Opération Épervier, elle constitue également un coup fatal porté à la lutte contre la corruption au Cameroun.
Joakim IPELA