TETE A TETE AVEC JOHANNA BOYER DILOLO

Les compétences et la passion sont présentes en Afrique comme en Europe...
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« SI J’AVAIS UN PLAN A SUIVRE CE SERAIT CELUI-LA : ME BATTRE POUR FAIRE EXISTER LES VOIX DES PERSONNES QUI SONT MISES A LA MARGE »  

C’est au bout de la vieille corde qu’on tisse la nouvelle. Johanna Boyer Dilolo, 34 ans, est la valeur du futur du cinéma africain qui rassure. Sur les traces des légendes africaines du 7e art, elle est au cœur de plusieurs productions littéraires et cinématographiques. Notamment, « Abduction », « Entre-deux », « Insomnie » et plus récemment « Or Blanc » sorti en 2023 et qui sera bientôt diffusé sur Canal+ Première. Une série qui fait évidemment rêver. Née en Côte d’ivoire, vit en France, la cinéaste Ivoirienne est ambitieuse, une véritable ambassadrice emblématique de sa terre natale. Aussi jeune et prolifique, elle est d’une efficacité désarmante. Sa courtoisie la prédestine à porter la couronne sans compromis. Johanna Boyer Dilolo a accepté de nous partager son expérience dans le cinéma.

ESbi Media : Bonjour Johanna Boyer Dilolo, merci de nous recevoir.

Bonjour à vous, Enchanté !

ESbi Media : Qui est BOYER DILOLO JOHANNA?

Je suis une scénariste et réalisatrice ivoirienne de 34 ans, qui a su dès l’âge de 10 ans qu’elle voulait faire ce métier, et qui a eu la chance d’avoir des parents qui l’ont entendue et l’ont soutenue dans ce projet aussitôt qu’il a été formulé. Ce soutien s’est entre autres, manifesté par le financement de mes études de cinéma en France (car à l’époque où j’étais étudiante, il n’y avait pas d’école de cinéma en Côte d’Ivoire).

ESbi Media : Avez-vous l’habitude des magazines webs camerounais ?

Non. Je ne suis pas familière des magazines web camerounais. Il m’arrive de consulter septiememagazine.com, magazine que j’ai connu en rencontrant Paul « Stevek », le CEO du magazine. Il était en écriture de sa série pendant que nous étions en préparation d’Or Blanc, et nous partagions les mêmes bureaux.

ESbi Media : Vous êtes une cinéaste astucieuse avec des courts-métrages riches. Comment appréciez-vous l’univers du cinéma en 2023 ?

Quand j’étais adolescente, il fallait disposer d’une caméra à cassette ou à pellicule pour pouvoir tourner des courts-métrages. Cela représentait un coût, et n’était pas accessible à tout le monde. Aujourd’hui, on peut s’exercer à tourner avec un téléphone, avec des caméras numériques de différentes qualités, à de divers coûts, et on dispose d’internet, qui est un outil de diffusion et d’apprentissage incroyable s’il est utilisé à bon escient. Ça veut dire que la jeune apprentie cinéaste qui rêve de faire des films, n’importe où dans le monde, dispose d’outils accessibles pour pouvoir expérimenter et montrer son travail dans le monde. C’est génial ! J’ai l’impression qu’il y a de la place pour tout le monde, car les médias pour regarder des films se multiplient et la demande est forte. Il n’y a jamais eu autant de diversité de films. Il y en a pour tous les goûts et toutes les économies. Aujourd’hui, on peut habiter au Cameroun et avoir accès à des films coréens, habiter au Japon et avoir accès à des films brésiliens, etc., etc. Je trouve cela inspirant, car cet accès ouvre l’esprit et donne envie, quand on est cinéaste, de se surpasser. Il y a quelques années, en 2018, j’ai découvert le film Dhalinyaro, qui est le premier long-métrage dans l’histoire de Djibouti. Seulement en 2018, vous vous rendez compte ? Ça montre bien qu’il y a encore énormément de choses à faire et énormément de cultures, de territoires et d’histoires à mettre en valeur.

ESbi Media : Qu’est-ce qui vous amène dans le 7e art?

L’amour pour les histoires ! Mon grand-père était un excellent conteur. J’adorais l’écouter nous conter des histoires. Ça m’a donné goût au récit et au plaisir de raconter. Je me souviens que je m’amusais à réécrire la fin des dessins animés japonais que je regardais, quand leur vraie fin ne me satisfaisait pas. Dans un second temps, je me souviens que mon oncle regardait souvent des films de Chaplin à la maison. Au début, je ne comprenais pas pourquoi il riait autant devant un film muet, mais un jour il m’a invité à m’asseoir et à regarder avec lui, et j’ai été complètement prise par le film. J’ai découvert alors la force des images et leur capacité à raconter autant que les mots. Je crois que c’est ce mélange d’amour pour l’oralité et de fascination pour l’image qui m’a poussée à décider dès l’âge de 10 ans, que je voulais m’emparer de cet art pour m’exprimer.

ESbi Media : Dans vos réalisations, vous faites preuve d’audace, avez-vous un plan précis à suivre dans cet univers ?

Ceux qui me connaissent bien savent que j’adore être surprise ! Je sais que j’ai un but, qui est de réaliser des longs-métrages de cinéma pour le grand écran. Je sais que je veux raconter des histoires qui font sens pour moi et qui me tiennent à cœur, et que chaque projet sera un nouveau combat, car les sujets qui m’animent impliquent de lever des tabous et de donner la parole à des communautés ou des personnes qui sont mises à la marge. Si j’avais un plan à suivre ce serait celui-là : me battre pour faire exister ces voix-là.

ESbi Media : De toutes vos productions cinématographiques, quelle est celle qui constitue pour vous un petit plaisir secret?

Mon dernier court-métrage Entre-Deux. Car il n’a trouvé ni producteurs ni subventions, il a été fait avec les moyens du bord, avec ma « famille cinématographique » de France. Il n’a pas eu de vie en festival, mais aujourd’hui, malgré les difficultés et ses imperfections, il a plus de 746 000 vues sur Youtube !!! Je reçois des messages du monde entier, (Brésil, Etats-Unis, Nigeria, France, etc.), des personnes qui ont été touchées. J’ai été sollicitée pour une projection-débat dans un lycée à Toulouse, il a été projeté par une association à Nice, et ce film m’a permis de rencontrer non seulement, la personne qui est devenue mon agente, mais aussi celle qui est devenue ma meilleure amie. J’ai donc une histoire personnelle liée à ce film qui est très forte.

ESbi Media : Vous vivez à Paris, originaire d’Abidjan en Côte d’ivoire. Pouvez-vous faire un rapprochement entre la pratique du cinéma africain et européen ?

En termes de méthodologie de travail sur un plateau de tournage, il n’y a pas de différences. Ce respect de la hiérarchie, qui est nécessaire pour que les choses soient organisées et avancent bien, est respecté de la même façon. Les compétences et la passion sont présentes en Afrique comme en Europe. Deux choses diffèrent selon moi : les moyens financiers, et donc techniques qui sont mis en œuvre et le savoir-faire dans certains domaines. L’Europe a énormément d’avance à ce niveau-là, car le cinéma est né en Europe et le continent européen s’en est emparé bien avant nous, en développant de nombreuses techniques qui sont sans doute un peu mieux assimilées car enseignées et transmises depuis longtemps. Il y a aussi, en Europe, des politiques culturelles dans différents pays pour faire exister le cinéma et le structurer. Le Nigeria est arrivé à un niveau incroyable en se structurant. C’est possible aussi ailleurs en Afrique, mais il faut une volonté politique de le faire pour accompagner tous les acteurs du monde du cinéma.

ESbi Media : Pensez-vous que le cinéma africain nourrit-il son homme ?

Je suis mal placée pour répondre à cette question du fait que j’habite en France, donc ma réalité est différente. Il faudrait poser la question à toutes les personnes qui font le cinéma, du producteur au 2ème ou 3ème assistant pour connaître leur réalité. Ce qui est sûr, c’est que dans le cas du cinéma ivoirien, il n’est pas encore structuré avec des minima salariaux en fonction des postes. Donc, les salaires peuvent énormément varier en fonction de la nature du projet et des moyens mis à disposition. L’idéal serait que les choses se structurent et que tout le monde soit assuré d’un minima qui correspondrait à la réalité de son poste. Cela viendra avec le temps et la multiplication des tournages.

ESbi Media : En trois dates importantes, quels sont les moments qui ont marqué votre vie?

2003 : Lors d’une sortie scolaire, je découvre le spectacle L’Exil d’Alboury, mis en scène par Sidiki Bakaba. Ce spectacle m’accompagne encore jusqu’à aujourd’hui, car il m’a donné un étalon en terme exigence visuelle, artistique et émotionnelle dans la création artistique. L’excellent Sylvain Gbaka jouait dans ce spectacle. J’ai eu l’honneur de le diriger dans ma série Or Blanc. C’était un moment très émouvant pour moi.

Octobre 2004 : quand je quitte la Côte d’Ivoire en urgence, au lendemain de mes 16 ans, pour aller les terminer au Maroc, en raison de la guerre qui déchirait mon pays. Je deviens adulte un peu trop vite, en l’espace de quelques semaines.

Septembre 2023 : En septembre 2023, j’aurai vécu plus en France qu’en Côte d’Ivoire, tout en conservant uniquement ma nationalité ivoirienne. Je me sens parfaitement intégrée en France, mais je suis ivoirienne et pour l’instant je souhaite le rester, car ça va dans le sens de ce que je ressens.

ESbi Media : Avez-vous des préférences de projets de films dans la réalisation ?

Non, pas de préférences. J’ai besoin qu’une histoire me touche et raisonne en moi pour la raconter. J’ai une admiration pour les réalisateurs et réalisatrices qui explorent des styles très différents : science-fiction, fantastique, drame, comédie, etc. J’adorerais réaliser un film africain de science-fiction !

 ESbi Media : Quels sont vos projets à court et à long terme ?

Je suis très prolifique en termes d’idées, donc j’en ai plein dans les tiroirs, mais ces idées sont à des stades de maturation différents. Dans ces idées, il a aussi bien des séries, que des courts-métrages, des longs-métrages, des clips et même de la bande dessinée ! Il faut que je mette de l’ordre dans tout ça, mais, mon objectif, à terme, serait de réaliser des longs-métrages pour le grand écran.

ESbi Media : Vous ne faites pas l’économie avec l’excellence, pouvez-vous affirmer que vous êtes une personne généreuse ?

La générosité peut se manifester de différentes manières. Pour ma part, je pense que le savoir et l’expérience sont des choses qui doivent se partager et se diffuser pour qu’on se tire tous vers le haut et que notre cinéma arrive à un niveau d’excellence. J’essaie au maximum d’apprendre des aînés et des personnes qui ont plus d’expérience, d’accumuler cette expérience et ensuite de la transmettre à tous ceux qui ont envie

ESbi Media : Merci Johanna pour temps et votre générosité

Merci beaucoup pour votre intérêt.

Entretien mené par Cyrille Ella

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