TROIS CONSEILS DU DENTISTE POUR UNE MEILLEURE SANTÉ DES DENTS.
ESBIMEDIA – Quel est votre commentaire sur le thème de la journée mondiale de la santé bucco-dentaire 2024 ?
Le thème « Une bouche heureuse est… un corps heureux » démontre qu’il existe un lien étroit entre la santé bucco-dentaire et la santé générale. Les maladies bucco-dentaires peuvent engendrer certaines maladies appelées « maladies générales » ou maladies systémiques. Le terme « systémique » fait référence au système dans son ensemble. Une pathologie bucco-dentaire peut attaquer des systèmes tels que le cerveau, le cœur, les reins, les articulations, et bien d’autres. Comment cela se manifeste-t-il ? Lorsqu’une infection bucco-dentaire se produit, cela implique la présence de bactéries. Ces bactéries peuvent pénétrer dans la circulation sanguine et se loger dans ces organes. Une fois ces organes atteints, elles peuvent provoquer des inflammations et d’autres affections. Par exemple, les bactéries présentes dans la plaque dentaire peuvent provoquer un infarctus du myocarde. On peut également développer un rhumatisme articulaire aigu, des insuffisances rénales, voire même des méningites. Il suffit simplement que la bactérie remonte dans la circulation sanguine et atteigne le cerveau.
ESBIMEDIA – Il est recommandé de se brosser les dents deux fois par jour. Est-ce que le brossage des dents est suffisant pour assurer une prévention bucco-dentaire efficace ?
La prévention de la santé bucco-dentaire passe avant tout par une bonne hygiène bucco-dentaire. Cela comprend toutes les actions visant à maintenir une bouche en bonne santé.
En ce qui concerne l’hygiène bucco-dentaire, le brossage des dents est une étape essentielle. Il est recommandé de se brosser les dents après chaque repas. Cependant, étant donné les contraintes de la journée et l’impossibilité de se brosser les dents après chaque repas, on regroupe généralement ces brossages en deux séances : le brossage du matin et le brossage du soir. Toutefois, il est important de souligner que le brossage du soir est le plus crucial.
Pendant la journée, lorsque nous parlons et salivons, cela contribue à éliminer les bactéries et les débris alimentaires. En revanche, pendant la nuit, la bouche est fermée et il n’y a pas de salive pour effectuer ce nettoyage, ce qui crée un environnement propice à la formation de caries dentaires par les bactéries à partir des débris alimentaires. C’est pourquoi le brossage du soir, juste avant de se coucher, est fortement recommandé. Après avoir terminé le dîner, il est préférable de se brosser les dents avant de dormir. Même si vous avez déjà brossé vos dents avant de dormir, il est possible de prendre votre petit-déjeuner le lendemain matin sans vous brosser à nouveau. C’est après le petit-déjeuner que vous devez effectuer le brossage du matin avant de vaquer à vos occupations.
En plus d’une bonne hygiène bucco-dentaire, il est également important d’utiliser les bons accessoires. Tout d’abord, la qualité de la brosse à dents est primordiale. Il est recommandé d’utiliser une brosse à dents à petite tête. La taille de la tête de la brosse à dents doit être inférieure ou égale à la distance entre les canines, qui sont les troisièmes dents à partir de l’avant dans l’arcade dentaire. Les poils de la brosse à dents doivent être souples ou de rigidité moyenne, évitant ainsi les poils durs qui pourraient blesser les gencives lors du brossage. Il est également recommandé de remplacer la brosse à dents tous les trois mois, ou dès que les poils commencent à s’user.
En ce qui concerne le choix du dentifrice, il est important d’opter pour un dentifrice contenant la bonne concentration de fluor. Pour les adultes, la concentration recommandée est de 1400 ppm ou 1500 ppm, tandis que pour les enfants, elle est de 750 ppm, soit la moitié de la concentration pour les adultes.
En résumé, la prévention bucco-dentaire repose sur le brossage des dents deux fois par jour, la qualité des accessoires de brossage, le choix d’un dentifrice approprié, et surtout, la visite annuelle chez le dentiste pour les examens de routine. Lors de ces visites, si des caries débutantes sont détectées, le professionnel de santé dentaire peut intervenir rapidement afin d’éviter d’atteindre un point de non-retour.
ESBIMEDIA – Dans les astuces de grand-mère, il est conseillé de se brosser les dents avec du charbon ou du savon de ménage. Quel est l’avis du dentiste à ce sujet ?
Le but principal du brossage des dents est de protéger nos dents. Il est important de comprendre que la dent est composée de trois tissus, de l’intérieur vers l’extérieur. Nous avons d’abord l’émail, qui est le tissu le plus dur du corps et qui a une couleur blanche. Ensuite, il y a la dentine, qui est de couleur jaune et qui est responsable de la sensibilité dentaire. C’est dans la dentine que se trouvent les récepteurs sensoriels de la dent. Enfin, sous la dentine, il y a la pulpe, qui est la partie rouge contenant les vaisseaux sanguins et les nerfs de la dent.
L’objectif du brossage avec un dentifrice fluoré est de renforcer la couche d’émail, car c’est l’émail qui est en contact avec les bactéries de la bouche et les débris alimentaires. Le fluor contribue à renforcer les liaisons d’hydroxyapatite présentes dans l’émail.
En revanche, le charbon végétal est un produit abrasif qui n’est pas bénéfique pour l’émail. Il affaiblit les liaisons d’hydroxyapatite, car l’émail est composé de ces liaisons très serrées. L’action abrasive du charbon peut les rompre ou les fragiliser. Utiliser du charbon végétal sur les dents n’est pas recommandé. Bien sûr, il est possible de blanchir les dents en utilisant du charbon, mais cela peut endommager l’émail et entraîner des sensibilités dentaires.
En ce qui concerne le savon, il contient de la soude caustique. Mettre de la soude caustique sur un tissu aussi sensible que nos dents peut avoir des conséquences indésirables. Il est préférable de se brosser les dents avec un dentifrice fluoré plutôt que d’utiliser du charbon ou du savon.
En conclusion, il est recommandé de privilégier l’utilisation d’un dentifrice fluoré lors du brossage des dents. Les astuces telles que l’utilisation de charbon ou de savon ne sont pas bénéfiques pour l’émail dentaire et peuvent entraîner des problèmes de sensibilité dentaire.
ESBIMEDIA – Dans la pensée populaire, on dit souvent « quand tu ne parles pas, ta bouche sent ». Est-ce que cette assertion est vérifiée ?
En général, après avoir mangé, des débris alimentaires peuvent rester coincés entre les dents, et de petites particules de ces débris peuvent s’accumuler sur la surface de l’émail dentaire. Naturellement, notre bouche abrite des micro-organismes. Il peut y avoir jusqu’à 100 000 bactéries dans un millilitre de salive. Cependant, lorsqu’on finit de manger et qu’on ne se brosse pas les dents durant la journée, la production continue de salive agit comme un rinçage. En parlant, la salive est constamment en mouvement, ce qui empêche les bactéries de transformer les débris alimentaires en acide. Ainsi, les bactéries n’ont pas suffisamment de temps pour fermenter ces débris.
Cependant, pendant la nuit, lorsque la bouche est complètement fermée, la production de salive diminue considérablement. Cela donne aux bactéries tout le temps nécessaire pour transformer les micro-débris alimentaires en acide. Cette transformation se fait par fermentation. Lorsqu’un aliment est laissé dans un environnement et qu’il a le temps de se décomposer jusqu’à fermentation, il peut dégager une mauvaise odeur. C’est pourquoi l’on dit que lorsque la bouche reste fermée, elle peut produire une mauvaise odeur. La mauvaise odeur de la bouche est connue sous le nom d’halitose ou de mauvaise haleine.
ESBIMEDIA – Avez-vous l’impression que les Camerounais ont la culture du dentiste ?
Généralement, les Camerounais ont tendance à consulter un dentiste lorsque leur problème dentaire est devenu très grave. Les camerounais ont la phobie du dentiste. Cette phobie peut s’expliquer par trois raisons. La première, un manque d’information adéquate sur les soins dentaires. La seconde, l’absence d’une culture précoce de la visite chez le dentiste pendant l’enfance. Et enfin la peur basée sur les expériences vécues par des personnes de leur entourage lors de consultations dentaires.
Ainsi, lorsqu’un Camerounais rencontre un problème dentaire, il a tendance à recourir d’abord à l’automédication. Lorsque l’automédication ne fonctionne pas, il se tourne vers les remèdes traditionnels ou les conseils de grand-mère, tels que les décoctions, les clous de girofle ou l’application d’ail écrasé sur la dent. Même si ces méthodes peuvent soulager la douleur, cela ne signifie pas que l’infection est guérie. L’infection continue de progresser silencieusement, ce qui entraîne des périodes d’inflammation et de rémission. Ainsi, la douleur peut s’atténuer à certains moments, ce qui renforce la croyance que les remèdes traditionnels ont fonctionné. Malheureusement, l’infection continue de progresser en silence jusqu’à ce qu’un abcès se forme sur la gencive ou que la joue commence à enfler. C’est souvent à ce stade que le patient envisage de consulter un médecin à l’hôpital ou dans un cabinet dentaire. La consultation devient alors urgente car il peut avoir des difficultés à déglutir ou à ouvrir la bouche, et la présence de tuméfaction peut être effrayante.
Il est vrai que les choses évoluent avec le temps et que certains Camerounais adoptent une culture du dentiste. Cela est particulièrement vrai pour les familles qui ont des membres vivant à l’étranger, car les pays occidentaux ont généralement une culture de soins dentaires plus développée.
Cependant, pour un Camerounais typique, l’hôpital est souvent considéré comme le dernier recours. Ils ont tendance à privilégier d’autres méthodes de traitement avant de se tourner vers l’hôpital.
ESBIMEDIA – Comment faire pour changer cela ?
Pour changer cette situation, il est nécessaire de mettre en place des séances de communication et de sensibilisation. Certains efforts en ce sens sont déjà entrepris via les réseaux sociaux. Sur Facebook, par exemple, de nombreux cabinets dentaires s’efforcent de sensibiliser une grande partie de la population. Cependant, je pense que cela ne suffit pas.
La sensibilisation devrait commencer dès le foyer, avec les parents. Les parents devraient prendre l’habitude de veiller à l’hygiène bucco-dentaire de leurs enfants, en incluant par exemple une brosse à dents dans la trousse de rentrée scolaire. Aussi, en leur inculquant l’habitude de se brosser les dents après chaque repas, ou au moins de se rincer la bouche avec de l’eau.
De plus, je pense qu’il serait bénéfique d’intégrer des leçons d’éducation à l’hygiène bucco-dentaire dans les programmes scolaires. Même si cela ne représente que trente minutes, deux fois par semaine, cela permettrait de sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge à l’importance de l’hygiène bucco-dentaire et de la santé bucco-dentaire.
Il est évident qu’il reste encore beaucoup de travail à faire en matière de sensibilisation et de prévention des maladies bucco-dentaires. Environ 80% de la population souffre de problèmes bucco-dentaires, et à l’âge de 25 ans, la plupart des Camerounais ont déjà perdu une ou plusieurs dents. Cela est souvent dû au fait que leur santé bucco-dentaire n’a pas été prise en compte pendant leur enfance. Il est donc primordial de commencer dès le plus jeune âge.
Propos recueillis par Sidoine FEUGUI