TÊTE À TÊTE AVEC ULRICH TAKAM : « UN HUMORISTE PEUT FAIRE UNE BLAGUE QUI NE FAIT PAS RIRE »

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Depuis quelques années, il est impossible de parler des humoristes camerounais sans mentionner Ulrich Takam. Originaire de Penka-Michel, dans le département de la Menoua, Région de l’Ouest, il s’est fait connaître du grand public grâce à la websérie « Les délires de Takam ». Depuis lors, il n’a cessé de développer de nouveaux concepts, notamment d’autres webséries, des événements humoristiques et des spectacles d’humour. Ulrich Takam a accepté de partager son expérience avec les lecteurs d’Esbimedia, revenant sur les moments marquants de son parcours.

Esbimedia – D’instituteur à humoriste, à quel moment avez-vous décidé de faire carrière dans l’humour ?

Ce n’est pas une décision que j’ai prise. C’est une décision qui s’est imposée à moi. J’ai été formé comme instituteur, c’est vrai, mais j’ai aussi suivi une formation en arts du spectacle et cinématographie à l’Université de Yaoundé 1, où j’ai obtenu un Master 2. Être humoriste aujourd’hui est simplement la conséquence de la formation que j’ai suivie.

Je n’ai pas choisi de devenir instituteur par passion. J’ai décidé d’aller à l’ENIEG pour faire plaisir à ma mère, qui était préoccupée par mon insertion socio-professionnelle. Après avoir obtenu mon CAPIEM, j’ai décidé de poursuivre ma formation avec une formation professionnalisante. C’est ainsi que j’ai choisi de m’inscrire en arts du spectacle. C’est là que j’ai découvert le théâtre et le cinéma, et c’est là que je suis tombé amoureux du théâtre comique. C’est ainsi que l’humour s’est présenté à moi, et aujourd’hui, c’est avec grande joie que je suis humoriste.

Esbimedia – Vous souvenez-vous de votre tout premier spectacle d’humour ?

Ma toute première performance humoristique a eu lieu à la Case des Arts à Yaoundé le 17 août 2016, à l’occasion de l’anniversaire de mon émission de radio « My Kalak Moment » que je présentais sur Kalak FM. Je tiens à rappeler que je suis passionné par la communication et l’animation radio. Lors de cet événement, j’ai présenté un sketch qui a été très bien accueilli par le public. Cela m’a encouragé à poursuivre dans cette voie.

C’est ainsi que j’ai écrit mon premier one-man-show intitulé « Faut pas rêver ». Ce premier spectacle a été organisé dans ma salle de classe, le pavillon 3 des arts du spectacle et cinématographie de l’Université de Yaoundé 1. Landry NGUETSA en était le metteur en scène. Dans le public, il y avait mes amis, mes camarades et les auditeurs de la radio. Nous avons passé un bon moment ensemble. L’entrée était gratuite, donc cela n’a pas rapporté d’argent, mais cela a nourri et fait grandir un rêve qui existait déjà.

Esbimedia – De « Faut pas rêver » à votre tout dernier one-man-show « Citoyen lambda », quel est le spectacle qui vous a le plus marqué ?

Tous les spectacles sont importants dans ma carrière. La question de savoir si je ferai un autre spectacle à la hauteur de « Citoyen lambda » me préoccupe. Mais je suis confiant, car c’est la même question que je me suis posée lorsque j’ai créé « Faut pas rêver ». Chaque spectacle est important. Chaque spectacle est un pas important dans mon parcours. Je ne peux pas avoir de préférence, car chaque spectacle a une aventure et une histoire que je partage avec le public qui me suit.

Esbimedia – Quel est le processus de création de vos sketches ?

Je m’inspire de ma vie quotidienne. Je me raconte sur scène. Pour moi, il est essentiel de se raconter, car c’est la meilleure façon d’être original. Je suis original parce que ma vie n’est pas celle des trente millions d’autres Camerounais. Ma vie est particulière et différente, tout comme mes expériences le sont. C’est cela qui fait que c’est moi sur scène et que je parle de moi.

Esbimedia – Quels sont les éléments à prendre en compte lors de l’organisation d’un spectacle d’humour ?

Ce n’est pas une question qui relève de ma compétence, c’est plutôt une question à poser à un producteur de spectacles. Bien que j’aie déjà organisé des spectacles, je ne prétends pas qu’ils soient exemplaires. Pour moi, le plus important dans l’organisation d’un spectacle, c’est d’avoir une date et une salle. Dès que vous avez ces deux éléments, vous êtes obligé de vous battre pour réaliser votre spectacle. Cela suffit à me motiver. Si vous avez réservé la salle pour le 16 mars, on ne vous la donnera pas le 17, encore moins le 15. Donc, soit vous le faites, soit vous ne le faites pas, vous êtes obligé de le faire. Et si vous devez le faire, vous devez le faire correctement. C’est ma méthodologie personnelle, mais un véritable organisateur de spectacles ne la recommanderait à personne.

Esbimedia – Pouvez-vous nous donner cinq astuces pour devenir un bon humoriste ?

C’est une question à poser à un professeur d’humour. Cependant, d’après mon expérience personnelle, voici cinq conseils pour devenir un bon humoriste : être drôle, avoir de la volonté, travailler dur, être passionné et avoir la foi.

Esbimedia – Vous vous concentrez principalement sur la production de contenu sur votre chaîne YouTube. Pouvez-vous estimer vos revenus mensuels grâce à cette plateforme ?

Les revenus sur les réseaux sociaux dépendent des contenus que vous publiez. Plus vous produisez de contenu, plus vous générez des revenus. Si vous ne produisez aucun contenu, vous ne générez rien. Il y a donc des mois où je peux ne rien gagner, car je n’ai pas eu le temps de produire du contenu, et d’autres mois où je gagne plus.

Est-ce qu’on peut devenir millionnaire grâce aux réseaux sociaux ? Oui, certaines personnes le deviennent grâce à la viralité de leur contenu. Un contenu qui génère des millions de vues peut rapporter des millions de francs CFA. La viralité d’un contenu peut rendre riche, mais malheureusement, nous ne sommes pas sur le bon continent pour cela.

Maintenant, quels sont les coûts de production de ce contenu ? Si vous parlez des bénéfices, nous ne gagnons presque rien. Nous pouvons recevoir mensuellement un million, deux millions, voire même trois millions de francs CFA, mais cela est dû à notre investissement initial d’un million, trois millions, voire même quatre millions de francs CFA. Ainsi, mensuellement, nous obtenons simplement un retour sur nos frais de production, mais nous ne réalisons pas de profit sur les réseaux sociaux.

Le retour sur investissement se fait grâce à des prestations pour des particuliers ou des marques. C’est à ce moment-là que nous réalisons un bénéfice réel, car ce que nous recevons nous appartient véritablement. Cependant, tout ce que nous investissons dans le matériel de production, les ressources humaines et la production elle-même ne peut pas être couvert par ce que YouTube nous donne mensuellement.

Esbimedia – Vous avez commencé la web-série « Les délires de Takam ». Pourquoi n’y a-t-il pas eu de suite et de fin ?

« Les délires de Takam » n’ont pas été terminés pour des raisons logistiques et financières. À l’origine, « Les délires de Takam » était un projet étudiant. Le projet se déroulait dans un seul décor, la chambre d’étudiant, qui était également ma propre chambre. À ce stade, les coûts étaient relativement bas, mais plus la série évoluait, plus les coûts augmentaient. Le nombre de personnages augmentait, les décors se multipliaient, ce qui faisait grimper les coûts de production. À un certain moment, les coûts de production sont devenus très élevés par rapport à ce que YouTube pouvait générer. Et YouTube était la seule plateforme où nous avions un retour sur investissement.

Nous avons même lancé une cagnotte qui malheureusement n’a pas permis de couvrir les dépenses nécessaires pour continuer à produire « Les délires de Takam » avec des épisodes de bonne qualité. Nous aurions pu produire des épisodes de qualité médiocre, mais cela aurait tué le projet et nous ne voulions pas compromettre les bons souvenirs de ce projet.

Par exemple, si vous avez un personnage riche, vous devez le montrer. Dans cette web-série, le père de Joyce est colonel, ce qui implique que chaque scène où il apparaît doit le présenter comme un colonel. Louer une voiture ou une maison de colonel pour une journée coûte cher.

À un moment donné, nous devions faire un choix : soit nous continuons à nous épuiser sans succès, soit nous mettons fin à la série nous-mêmes pour survivre. Et c’est ce que nous avons fait, pour notre survie.

Esbimedia – Avez-vous déjà joué un sketch où personne ne rit ? Comment gérez-vous la situation lorsque personne ne rit à vos blagues ?

Si un humoriste joue un sketch et personne ne rit, cela ne signifie pas forcément que le sketch n’est pas drôle. Peut-être qu’il l’a joué au mauvais endroit. Cependant, un humoriste peut faire une blague qui ne fait pas rire, ce qu’on appelle un « bide ». Il peut se planter sur tout le texte parce que ce n’est pas le bon public, ou que la thématique ne convient pas à la cible du public… Mais s’il est un humoriste, cela signifie qu’il connaît le processus pour faire rire les gens et qu’il l’applique depuis des années.

Tout humoriste a, à un moment donné de sa carrière, déjà connu un bide. Et même à l’avenir, il connaîtra des bides. Parce que le public n’est pas toujours réceptif, tout comme vous-même vous n’êtes pas toujours de bonne humeur. Les circonstances dans lesquelles vous jouez ne sont pas les mêmes tous les jours.

Effectivement, cela peut être douloureux et mettre mal à l’aise. Dans mon cas, cela me met mal à l’aise, cela me met dans une situation où je ne me sens bien que lorsque j’ai réalisé ma prochaine prestation magnifique. Tant que je n’ai pas fait cette prochaine prestation honorable, je resterai dans un état d’esprit triste jusqu’à ce que je réussisse une performance plus satisfaisante.

Esbimedia – Si on doit célébrer vos années de carrière, combien d’années de carrière avez-vous en 2024 ?

J’ai réalisé mon premier véritable spectacle en 2016. Je suis fier du travail accompli jusqu’à présent. Ma plus grande fierté est d’être encore là aujourd’hui, d’être encore capable de proposer des choses. Je suis fier de l’immense possibilité qui se présente encore devant nous.

Propos recueilli par Sidoine FEUGUI

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