TETE A TETE AVEC MARTIN POULIBE

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C’est un self-made-man. Un homme qui concilie le génie au talent. Martin Poulibé est un acteur, réalisateur, producteur, scénariste et auteur de bande dessinée. Il est camerounais, originaire de la partie septentrionale du pays, né le 22 février 1960 à Garoua. Historien et archéologue de formation, cet homme originaire du peuple Moundang est devenu une figure qui compte pour le cinéma camerounais. Son jeu d’acteur se bonifie avec le temps, pourtant, il considère le 7e art comme un bonus à son éclosion sociale.

EsbiMedia: Bonjour M. Poulibe et merci d’avoir accepté notre invitation

Salut à vous. Le plaisir est partagé.

EsbiMedia : Nous avons hâte de savoir, qu’est ce qui enclenche le déclic qui vous fait penser que vous pourrez réussir dans le domaine de l’actorat?

Il n  y a pas de déclic. Je suis arrivé au cinéma par hasard à la suite d’un tournage que Bernard Kwemo faisait dans la société où je travaillais. Après avoir obtenu l’autorisation de tourner, ils ont sollicité que j’incarne un personnage. J’ai refusé parce qu’à ce moment là pour moi, le cinéma était pour les enfants, les voyous. Ils sont revenus deux ou trois jours après avec la personne qui devait incarner le personnage qu’ils m’ont proposé et il jouait tellement mal que j’ai pensé que je devais lui prodiguer quelques conseils. Et c’est là que le réalisateur s’est rendu compte que je pouvais incarner le personnage. Pas de superflus il a réussi à me faire jouer comme si j’étais entrain de montrer à l’acteur ce qu’il devrait faire. Et c’est comme ça que je suis devenu acteur de cinéma. À aucun moment, je n’ai pensé faire du cinéma dans ma vie. C’est un pur hasard. Comme quoi, quand Dieu dessine quelque chose, il vous emmène à ça.

EsbiMedia : Quel est le souvenir que vous gardez de ce tout 1er rôle ?

J’ai un très beau souvenir. Je garde vraiment un souvenir indélébile, marqué d’une pierre blanche parce que ça a été le début d’une génération en or dans le cinéma. Je citerai par exemple les gens comme Parfait Zambo, Narcisse Mbarga, Pierre Tenze, Bernard Kwemo lui-même, Paul Kobhio, Yves Biebakal, Zega , etc. Tout ce monde aujourd’hui. Ils sont tous des grands hommes dans le cinéma camerounais. Que ce soit en terme de technicien ou autres. Je pense que pour moi ça a été un Big bang.

EsbiMedia : Comment ça se passe pour que vous acceptiez un rôle? Pouvez-vous jouer n’importe quel type de rôle?

Je n’incarnerai pas n’importe quel rôle ni même n’importe quel personnage, parce que dans mon esprit, incarner un personnage signifie éduquer la société à travers ce personnage. Montrer ce qui n’est pas bien et ce qui est bien. A amener les gens à s’assagir, à ne plus faire ce qu’ils faisaient avant, au regard du personnage que vous aurez incarné. Impacter positivement la vie des gens c’est mon dada. Il y a des rôles que, du fait peut-être de ma religion, ma foi et ma culture, je ne saurai incarner. C’est clair.

EsbiMedia : Nous avons pu apprécier vos prestations dans des longs métrages (paris à tous prix) et des séries (cercles vicieux, etc.) camerounais… avez vous suivi des cours d’art dramatique ?

Non. Je n’ai jamais fait de cours d’art dramatique. Je suis ce qu’on appelle un self-made-man. J’ai un talent, il est inné et j’ai eu la chance de l’exprimer à travers cette opportunité. Je n’ai jamais été à l’école, je n’ai jamais lu un livre lié à ce que je fais. Et puis, à la date d’aujourd’hui, je suis à plus de 100 films . Je fais quand-même beaucoup de films et d’assez grand films aussi. Dans les longs métrages, vous retenez Paris à Tout prix qui est quand-même un vieux film. Ça fait longtemps que ça a été tourné. Il y a des films récents comme par exemple « Alerte » qui vient de passer et qui est par exemple un long métrage bien fait dans lequel j’incarne le rôle d’un avocat. Je suis supposé défendre Jacques Ordy, qui est quand-même un acteur de renom nigérian et même international.

EsbiMedia :Avant d’être acteur, vous travailliez…avez-vous à un moment donné, dû cumuler les deux activités? Si oui, pouvez-vous nous raconter votre expérience..?

Quand j’ai commencé, j’ai travaillé. J’étais chef d’agence quelque part et il fallait bien que je fasse avec. Il m’arrivait parfois de tourner 3 films dans la ville de Yaoundé et de travailler; parce que les patrons ne peuvent pas accepter que vous alliez tourner un film en laissant tomber son travail. J’étais obligé de jongler. Parfois je garais ma voiture quelque part de manière visible et puis j’allais tourner peut-être ailleurs; à Monatele ou dans un autre village. Il m’arrivait d’aller tourner à Douala et laisser ma voiture garée quelques part, on a l’impression que je suis dans la ville de Yaoundé. Ça c’est des jongleries que j’ai été obligé de faire. Et à un certain moment, j’étais obligé de faire un choix. Le choix a été facile. D’ailleurs que la société a connu des problèmes et a été fermée. C’était plus facile pour moi de me consacrer à l’art.

EsbiMedia : M. Poulibe, est-ce que le cinéma au Cameroun nourrit-il son homme?

Je dirai dans une certaine mesure non. Non parce que le professionnalisme au Cameroun est très difficile. Les productions ne sont pas nombreuses et sont parfois mal payés. Il faut parfois faire d’autres activités pour pouvoir s’en sortir. C’est clair. Si on était payé à la hauteur de ce qu’on fourni, peut-être que ce serait mieux. Nous dans un film, on peut être dans un contrat de 200 ou 300 000 Fcfa. Quand on voit que le producteur ou ceux qui ont commandé le films vont encaisser 50 ou 60 millions, ce n’est pas correct. En plus de ce qu’on vous a donné, il faut qu’il y ai un retour sur investissement. Aujourd’hui, je crois qu’il n’y a que Monsieur Ebenezer Kepombia qui a été capable de le faire. Les autres vous mettent au travail et se moquent de vous. D’autres même à la limite, vous signez un contrat d’une semaine, mais on vous fait travailler un an et on trouve que ce n’est pas juste que vous réclamiez un avenant à votre contrat. Nous sommes dans un milieu où il y a des aventuriers qui viennent pourrir le milieu.

EsbiMedia : Vous avez reçu plusieurs canal d’or, un satigui award, depuis le début de votre carrière en 2002, avez-vous eu des désillusions en tant qu’acteur?

Pour avoir une désillusion, il faut s’attendre à quelque chose. Moi je ne m’attends à rien du tout. Pour moi c’est un peu comme quelqu’un qui va faire le 2-0. Je me fais plaisir. C’est un bonus. À mon âge, tout ce que je fais est un bonus. Pour moi, c’est un plaisir d’ailleurs déjà d’incarner des personnages, le reste passe au dessus de la tête. Les prix, c’est bien. J’ai eu 2 Canal d’Or et d’autres prix. C’est un bonus que Dieu m’a donné, la chance de faire ce que je fais et je le fais avec beaucoup de plaisir. Et j’essaie d’être crédible et authentique.

EsbiMedia : Qu’est-ce qui vous emmène à la bande dessinée?

La bande dessinée c’est le début de ce que je fais dans ma vie. J’ai dessiné depuis le lycée, le collège même. La difficulté de la vie amène chacun de nous à se battre comme il peut et souvent, autrement que ce que lui confèrent ses rêves. Je suis orphelin depuis l’âge de à4 ans, j’ai perdu mon père et ma mère très tôt. J’ai eu la chance d’être récupéré par mon oncle qui m’a élevé avec amour. Il a fait tout ce qu’il pouvait, mais il n’avait pas assez de moyens; donc il fallait bien que je me batte. J’étais dans un collège qui était à plus de 200 kilomètres de ma ville d’origine et pour rentrer il me manquait parfois de l’argent. Pour rentrer, il fallait que je dessine. C’était le seule chose que je savais faire. Et je vendais mes dessins à 5fcfa, 10 Fcfa ou 15 Fcfa et je me retrouvais entrain d’avoir parfois 400-500fcfa. Et je payais mon transport retour. Voilà comment est venu le dessin. Il me souvient à l’université, j’avais des amis qui ont vu mes dessins. C’était comme un défi entre nous. Nous étions en 1er année. J’ai produit une première édition de bande dessinée en première année, puis en deuxième année et en troisième année. J’ai fait partie des quelques rares étudiants à avoir publié à l’université. J’ai fait la bande dessinée avant le cinéma. Je ne pensais même pas un jour être acteur au cinéma ou même dans ce milieu là. Ce n’est pas seulement la bande dessinée puisque je suis aussi musicien. Pendant beaucoup d’années, j’ai été accompagnateur, j’ai été bassiste, chanteur compositeur aussi. Voilà autant de chose que j’ai fait dans la vie. La débrouillardise, le hasard de la vie.

EsbiMedia : A ce jour vous avez donc 03 bandes dessinées à votre actif, pensez-vous en faire des adaptations ciné?

Je ne sais pas si je peux encore. Bon c’est vrai, j’ai actuellement une planche de plus de 60 pages dans mes affaires et je pourrais peut-être la publier un jour. Ça c’est ma chance et c’est des dessins très bien faits, bien colorés d’ailleurs. Je pense même qu’en Afrique il y en a très peu qui ont atteint le niveau de coloration de dessin que j’ai fait. Il me souvient Jean Marie Ahanda quand il travaillait à Cameroon Tribune, il avait fait un article sur moi où il disait que j’étais quand-même l’avenir de la bande dessinée; parce que j’essayais de respecter les canons de la bande dessinée. Je publierai cette bande dessinée un jour par la grâce de Dieu. Mais pour le moment, je n’en fais pas une priorité. Je voudrais d’ailleurs rappeler que ma troisième bande dessinée qui parlait du Tchad, qui avait pour titre, « Tchad de désolatrice », avait été vendu partout, au Cameroun et ailleurs. J’ai même été reçu par les ambassadeurs de France et de Suisse, ma bande dessinée avait été vendu sur Amazon.com.UK, c’est pour montrer un tout petit peu la qualité du travail et le valeur de ce que je fais. Mais là pour le moment ce n’est pas une priorité. Je fais du cinéma comme la priorité puisque c’est un peu comme la bande dessinée. Il m’arrivera un jour pour m’amuser de sortir une chanson, je ne sais pas, publier la bande dessinée, peut-être aussi.

EsbiMedia : Quel regard portez-vous sur le cinéma camerounais qui semble aujourd’hui en plein essor?

Je ne me permets pas de juger le cinéma camerounais. Il y a beaucoup de bonnes personnes qui ont réussi, les gens talentueux et qui font du cinéma. C’est bien. Je dirais simplement que nous aurons beaucoup à gagner si nous essayons de nous à arrimer aux normes internationales. Essayer d’être correcte vis-à-vis de ceux qui travaillent pour l’industrie du cinéma et tout ça. J’ai eu la chance d’être coaché par des personnes par exemple comme Françoise Ellong, Joséphine Daniou, Basseck Ba Kobhio. Il y en a beaucoup d’autres. Même mon ami feu Alphonse Béni. On a fait des films ensemble, Gérard Essomba, pour ne citer qu’eux. J’ai eu la chance d’être révélé parceque j’avais ciblé Parfait Zambo, Paul Kobhio, Bernard Kwemo et autres. C’est eux qui m’ont révélé au cinéma. Aujourd’hui, j’ai la chance de faire partie de quelques camerounais à faire du cinéma et qui ont du talent. Puis porter cet art au niveau international. C’est une chance. Je souhaiterai aussi que ceux qui vont  prendre la relève en fassent de même. Qu’on ne soit pas là tout simplement entrain de se galvaniser après avoir réussi un rôle. Je ne sais pas, être reconnu dans la rue par X ou Y , porter de beaux habits pour pouvoir se filmer et balancer sur Facebook. Non, il faut éviter ça. Ce n’est pas ça le cinéma. Pour moi, ce n’est pas ça le cinéma. Pour moi, faire du cinéma, incarner un personnage c’est pouvoir éduquer la société. Cela ne demande pas à être orgueilleux. À la limite on se sent heureux, c’est une grâce. Voilà comment est ce que moi je vois la chose.

EsbiMedia : Y’a t-il des choses que vous auriez fait autrement dans votre carrière, si l’occasion vous était donnée..?

Non. Je n’ai rien à regretter de mon passé et de ma carrière. C’est une expérience. On la vit et puis on essaie de faire autrement demain. C’est tout. Je ne regrette rien du tout. Ce que j’ai vécu fait parti de ma destinée. Dieu a voulu que ça soit comme ça, il a voulu que je connaisse cette vie là, c’est une expérience. Ça fait parti du contrat de vie que j’ai passé avec l’univers. Je ne regrette rien.

EsbiMedia :  À ce stade de votre carrière, après plus de 20 ans dans le métier, avez-vous encore des rêves?

Oui. C’est même maintenant que je rêve. C’est maintenant que ça commence. À la limite c’est maintenant que je commence ma carrière; parce que j’ai passé 20 ans dans une vie, je n’ai plus rien à prouver. J’ai même plutôt beaucoup de choses à apprendre et à donner. Je partage maintenant. Actuellement, je donne le maximum de moi. C’est le début du rêve. Beaucoup ne se rendent pas compte malheureusement. Pleins de réalisateurs et de producteurs n’ont pas encore compris. C’est même dans les vieux acteurs qu’ils prendraient beaucoup de belles choses. Dans le gène d’un acteur âgé, il y a une certaine quintessence, une certaine pureté, un certain registre, une certaine sagesse et une authenticité certaine. C’est maintenant que je rêve.

EsbiMedia : Quels sont vos projets à court et à moyen terme?

Nous les africains avons la gentillesse de mettre les bâtons dans les roues de ceux qui veulent faire quelque chose. Autant garder mon silence. Vous allez seulement découvrir.

EsbiMedia: Merci M. Poulibe, d’avoir répondu à notre invitation.

Merci

Propos recueillis par Cyrille Ella

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